91-XI (2)

La langue française pour amour ! Aucun couple d’humains ou de dieux n’en a vécu de tel, aucun soleil ne s’est levé plus magnifique que sur notre lit. Nous aurions pu vivre en amants, toujours, elle était d’accord, mais il y avait les enfants : nous nous sommes épousés. Nos livres grandissent dans l’ombre chaude de nos étreintes.

92-V-6

L’artefact ébloui
Mon autobiographie, si je l’écrivais : une histoire de faux nez.
Noms, attributs, travaux, passades, passions, le travail n’a pas manqué dans la forge de mes faces. Je n’ai jamais été que mon semblable (mon frère à la rigueur) – pas moi. Même le petit garçon de H (Hayange) n’était pas moi – ce moi qui me survivra (il lui faut bien une vie) sans que je sache comment.
C’est pourquoi celle qui m’a si magnifiquement aimé pour moi, indifférente aux constructions et aux soudures accumulées, et qui m’a reconnu tel que je ne me connais pas (sans d’ailleurs me dire le secret de sa lucidité), celle-là a son tabernacle dans le cœur de moi.

93-IV

Les 4
On se voit rarement, presque accidentellement.
Pourtant : aucun éloignement de cœur ou de raison.
Simplement : la séparation des routes – la nécessité de la poursuivre seul.
C’était déjà là dans les années 45. On le savait…
On le savait moins.

93-IX

Abondante privation
On me plaint – quand je me raconte – d’avoir eu vingt ans en 1942, dans la quatrième année de la guerre (année aussi du Protocole de Wannsee qui réglait l’anéantissement des juifs).
J’interroge ma mémoire.
Qu’est-ce qu’ils racontent ! dit-elle. Toi, privé de ton adolescence ? Toi qui as reçu autant d’affection, d’amitié, de joie, d’amour heureux ou malheureux que tes pareils à toute époque ! Et qui as reçu en plus la faim, la détresse, la terreur, la démence qui ne leur étaient, à eux, ne leur sont jamais promis. Tu le savais déjà en 1942 : ce serait l’invendable trésor de ta vie (si tu t’en tirais), tu n’aurais plus rien à apprendre. Pour toujours, il te suffirait de ne pas bouger de ce point, de cet invisible mais indestructible point de l’an 42 d’où nulle extase ne peut commettre l’oubli de l’effroi, d’où le plus grand deuil n’est jamais en état de gazer l’espérance.

93-IX (2)

Je suis quelqu’un de toujours perdu. Où que ce soit je n’ai jamais su, pu me repérer. Mes mouvements sont désorientés. Aucun sens de l’espace ou alors un sens perverti qui me fait régulièrement choisir, entre deux directions, la mauvaise.
Mais cet homme que je suis sait toujours, à cinq minutes près, l’heure qu’il est. Aucun besoin de montre. Le temps et mon espace. Quand je m’en suis rendu compte, tardivement, j’ai compris pourquoi je révérais l’histoire, l’archéologie (J’ai voulu être archéologue), les voyages dans le temps tandis que je dédaignais la géographie, la terre, le ciel, la mer, les paysages (un regard et j’en ai fini avec eux).Je n’attends rien de l’espace. Je n’y suis pas. Il est 18 h 23 : voilà où je suis.

93-VI

Pour le jeune journaliste que j’étais dans les années 45-50, le bonheur de l’article terminé se conjuguait toujours au pluriel. Il y avait ma délivrance d’abord (vécue sur le mode lyrique de l’accouchement) ; puis le plaisir de voir ou d’entendre le ou la sténo à qui je dictais s’émouvoir ou se marrer en tapant sur les touches ; une heure après, quelqu’un du secrétariat de rédaction, parcourant les feuillets, répétait la même séquence, et parfois un typo quand j’allais, négligemment mais les pavillons bien ouverts, traîner au marbre ; le lendemain matin, un ou deux amis me parlaient encore de ce papier merveilleux (il l’était toujours). Mais à midi, c’était fini. Il ne fallait plus m’évoquer l’œuvre de la veille et du matin, absolument plus – comme si j’avais senti ou deviné ou compris qu’en éternisant mes bonheurs journalistiques je me rendrais impossible l’accès à la littérature.

98

Dans mes « egoflashes » parler du fils de Théo. Donner les noms de sa mère, de lui-même.
Les visites de la mère à ma mère avec le petit.
Mais la mienne (de mère) ne voulait pas accepter la situation. C’est le seul manque de sensibilité que je lui ai connu.

S. d.
Ce que je veux
Diminuer – par l’exercice de mon art et de ma charité – le poids de chagrin du monde.

A.P.

Anna PRUCNAL, chanteuse et comédienne

ABBE 

Beï, Ariane, Béatrice, Emmanuelle(épouse,fille et nièces de PJ)

AGRF

Association des Grands Reporters Français